« … Ma conviction est que nous devons aborder ce sujet en faisant d’abord preuve de transparence et d’une évaluation juste. C’est pourquoi j’ai lancé de nouvelles plateformes pour lutter contre la discrimination, le racisme, etc. Deuxièmement, un dialogue calme et ouvert pour comprendre comment cela s’est passé et d’une certaine manière déconstruire notre propre histoire, mais sans aucune confusion, nos histoires sont très différentes… »1, ainsi s’exprimait le Président Emmanuel Macron le 18 avril 2021 sur CBS (Columbia Broadcasting System) News, en réponse à une question de Margaret Brennan relative, entre autres, au passé colonial de la France et aux discriminations, inégalités ou racismes existants en France, comparés à la situation étasunienne du moment.

Que doit-on entendre par déconstruction de notre propre histoire ? Le politique peut-il être le donneur d’ordre d’une déconstruction de l’histoire ? Dans quel but ? S’agit-il d’une forme d’uchronie qui consiste à reconstruire un nouveau roman national à l’image de la composition (ou est-ce de la dé-composition) du pays telle qu’elle se dessine aujourd’hui ?

Les faits historiques sont ce qu’ils sont. Ce qui fait la France ce sont les valeurs et les idées élaborées depuis l’antiquité qui sous-tendent notre idéal, notre constitution, non l’origine ethnique ou les gènes, certainement pas la couleur de peau. Nos aînés, nos professeurs, l’école de la république, tous ceux qui nous ont permis de nous élever pour devenir des adultes conscients, éclairés, humanistes, libres et responsables constituent le creuset de la république française.

Que représente ici, dans la bouche de notre président, la déconstruction de l’histoire, si ce n’est une manifestation d’allégeance, d’alignement ou de soumission à la culture woke en vogue outre-atlantique ? Cette culture de la suppression (cancel-culture), prônée par les nouveaux apôtres auto-proclamés du bien, augure d’une déconstruction des valeurs occidentales héritées des lumières, sans doute bien trop blanches à leurs yeux, en particulier les valeurs universalistes, celles sur lesquelles repose notre conception de la laïcité, et qui, jusque là, nous ont unis malgré nos différences.

Remplacées par des critères genrés, racialistes, intersectionnels et dé-colonialistes, quantifiées via les fameuses « nouvelles plateformes transparentes anti-discrimination» et les réseaux sociaux, la reconstruction du meilleur des mondes sur les ruines de notre histoire déconstruite promet (comme certaines Cassandres l’évoquent déjà) d’être pavée d’affrontements communautaristes.

A l’heure où le dernier rapport de prospective à 20 ans du NIC (National Intelligence Council)2 vient d’être publié, risquons-nous à une projection Psychohistorique3 au sens de Nat Schachner et d’Asimov : dans un terme à peine plus lointain, sous les assauts des tentations idéologiques, bien sûr toutes empanachées de bonnes intentions, totalitaires, universelles et numériques, le racisme sera définitivement éradiqué, dixit le futur CBS (Cancel Bureau of Statistics)4, la couleur de peau et le genre devenant le cadet des soucis de l’humain du monde d’après, avec ou sans matrice, réinitialisé, connecté, augmenté, gavé de prêches médiatiques bien-pensants, surveillé par s.on.a voisin.e, sa e-social-community et le néo-système éveillé (comprendre en alerte ou aux aguets). Hommo sapiens pourra alors disparaître au profit d’hommo stultus, un être définitivement reprogrammé, soumis et lobotomisé.

« Celui qui contrôle le passé contrôle le futur. Celui qui contrôle le présent contrôle le passé »5. Mais qui s’est installé sur le trône du maître des horloges ? Et aujourd’hui n’est-il pas déjà un peu demain ?

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1 https://www.youtube.com/watch?v=zGBWkWkOFxI (extrait situé entre les 20ième et 25ième minutes), «My conviction is that we must tackle this subject by, first, demonstrating transparency and fair assessment. That’s why I launched new platforms to fight against discrimination, racism, etc. Secondly, a calm and open dialogue to understand how it happened and in a way to deconstruct our own history, but without any confusion, our histories are very different »

2 https://www.dni.gov/files/ODNI/documents/assessments/GlobalTrends_2040.pdf

3 La psychohistoire est une science fictive imaginée par l’auteur de science-fiction Nat Schachner puis développée plus largement par Isaac Asimov dans le cycle Fondation.

4 Le CBS est purement imaginaire, on pourrait l’assimiler au bureau du recoupement du ministère de l’information (c.f. Brazil, film de Terry Gilliam, 1985).

5 « Those who control the past control the future, and those who control the present control the past », George Orwell, 1984.

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