La magie de la politique ou la politique de la magie

Nous savons, ou devrions savoir depuis le temps, que le discours politique n’est pas le discours de la raison, qu’il n’a rien à voir avec la démarche scientifique, qu’il est fait de ressentis, d’omissions, de sophismes, de raccourcis, de simplifications orientées, de biais idéologiques, de raisonnements logiques erronés, de sentiments (celui de l’orateur ou ceux de l’électorat ciblé), voire de sentimentalisme, etc. En cette période d’élection, souvenons-nous des fameuses « promesses qui n’engagent que ceux qui y croient » que l’on prête à Jacques Chirac et à Charles Pasqua (adapté d’une citation d’Henri Queuille).

Depuis cette époque, déjà bien lointaine, la magie semble faire plus d’émules que le poker-menteur. En cette période pandémique, les sorciers de la politique n’ont-ils pas été capables de découvrir, ou de créer ex-nihilo, de l’argent magique, quoi qu’il en coûte ? Tels des alchimistes ils ont appris à transformer tout ce qui plombe les statistiques économiques en dette souveraine (je ne conteste pas les décisions prises, j’aurais néanmoins aimé connaître, avant que nous la contractions, le devenir cette dette. Que l’on m’assure, au-delà des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, que les classes moyennes et actives ne seront pas les seules contributrices à son remboursement. Certes, il est toujours envisageable que cette dette disparaisse à terme d’un coup de baguette magique exécuté d’un geste magistral par une fée politicienne écogénéreuse et bien-pensante).

Mais revenons à ce fameux discours politique. S’il ne relève pas d’un discours de vérité, nous attendons, en principe, que celui-ci reste dans certaines limites de la raison, qu’il ne transgresse pas trop les lois de la nature et de l’univers. Certes, certains d’entre nous considèrent encore que la terre est plate ou que le créationnisme prévaut sur le darwinisme, mais, j’ose croire que nous sommes nombreux encore à espérer que ce type de croyances d’un autre age demeure confiné dans des sphères limitées et apolitiques, que leur écho dans les médias se réduise à un petit sifflement peu dérangeant noyé dans le bruit tonitruant ambiant.

La campagne présidentielle révèle malheureusement qu’il n’en est rien. Elle fournit au contraire une occasion unique pour élever ces insignifiants acouphènes au statut de buzz médiatiques qui se propagent de manière virale sur les réseaux dits sociaux.

Le dernier exemple en date, qui atteint des sommets, mérite que l’on s’y attarde. Que dire en effet de cette phrase de Sandrine Rousseau, candidate à la primaire Europe Écologie Les Verts : « Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR » [1]. En extrayant cette phrase de son contexte, me direz-vous, vous ne valez pas mieux que les sophistes que vous vous efforcez à critiquer ! Soit ! Voici donc la phrase un peu mieux contextualisée :

« Le monde crève de trop de rationalité, de décisions prises par les ingénieurs. Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR » [1].

En quoi l’autrice de ces phrases atteint-elle les cimes embrumées d’une pensée politique, apparemment contaminée par un courant philosophique Harry Potterien en plein essor ? D’après moi à quatre titres, mais mon analyse rapide n’est sans doute pas exhaustive :

  1. « Le monde crève de trop de rationalité » : le monde crève, on peut être d’accord avec cette prémisse si l’on en croit les dérèglements climatiques et les rapports alarmistes entre autres du GIEC publiés depuis les années 1950 (voir Cassandre, Le Soleil Vert, Charney, le GIEC et moi) qui en passant sont ou ont été rédigés par des scientifiques et des ingénieurs, en tout cas pas par des politiques, encore moins par des sorciers, qu’ils soient moldus ou sangs-purs, du moins j’ose l’espérer.
  2. « Le monde crève de trop de rationalité, de décisions prises par les ingénieurs » : les décisions ne sont pas prises par les ingénieurs ou les scientifiques, mais précisément par les politiques. Ils sont là pour ça, c’est l’essence même de leur raison d’être que de prendre des décisions (à ma connaissance aucun ingénieur n’a été président de la république ou premier ministre depuis Valéry Giscard d’Estaing, c’est à dire depuis 1981. La dette publique s’élevait alors à 21% du PIB, elle frise aujourd’hui les 120% du PIB).
  3. « Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR » : pour une écoféministe auto-proclamée (on peut se demander d’ailleurs ce que ce néologisme recouvre précisément), je trouve le propos particulièrement sexiste. Il sous-entend que les femmes ne participent pas à la construction des EPR, ce qui est bien entendu faux, ou alors que les femmes qui participeraient à la mise en œuvre de ces instruments dignes de Voldemort, ne seraient plus des femmes à part entière. Dans une forme d’excommunication, il ne faudrait donc plus les comptabiliser dans les sections propres à la gent féminine.
  4. Vaut-il mieux jeter des sorts plutôt que de construire des EPR, ou plus largement développer la production d’énergie nucléaire ? On peut en débattre sereinement, toute question mérite d’être posée, et je suis certain que les plus jeunes qui lisent Harry Potter (et les autres) pourraient apprendre beaucoup des réponses (argumentées) que l’on pourrait leur apporter à ce sujet. L’écarter d’emblée en exprimant son mépris pour toute pensée rationnelle et pour les ingénieurs atomistes de sexe non féminin (principalement hommes blancs de plus de 50 ans ?) exclut tout débat et confère au discours une dimension idéologique, dogmatique, plutôt inquiétante.

Allez, je prends le risque qu’un méchant sort me damne pour l’éternité : pour élever le débat, les candidats EELV pourraient-ils nous dire ce qu’ils pensent de l’article de Kharecha et Hansen [2] (au-delà des habituels vade retro satana) ?

En question subsidiaire, pourraient-ils nous dire ce qu’ils pensent de la construction dans le Finistère d’une centrale thermique au gaz (une énergie carbonée donc) pour pallier les intermittences de la production électrique des sites éoliens maritimes que l’état implante en baies de Saint-Brieux et de Quiberon [3] ?

Pour ceux (le « ceux » ici inclut les « celles » : je précise pour qu’on ne me fasse pas un procès en machisme systémique) qui souhaiteraient se construire une opinion éclairée (i.e. en adoptant un point de vue scientifique, technique et argumenté) sur les enjeux de la transition énergétique, je conseille vivement le blog de Jean-Marc Jancovici [4] (Pour les ingénieurophobes, je me dois de mentionner, avant qu’ils ne cliquent sur le lien, que JMJ est ingénieur en climatologie, sorti de l’école Polytechnique en 1984). On y découvre un point de vue systémique très documenté. L’effort de vulgarisation rend abordable la lecture des nombreuses études, analyses et commentaires mis à disposition sur son site (notamment cet interview dans Marianne [5] portant sur l’impact de la fermeture de la centrale de Fessenheim). C’est véritablement passionnant ! Pour conclure, voici une citation tirée de ce site qui résume la position de l’auteur en évoquant les obstacles qui se dressent face à la pensée rationnelle : « Mais les actes de foi soudent les communautés, nous sommes faits ainsi. L’important est de le savoir et de savoir s’en rendre compte. » [4]

[1] Interview de Sandrine Rousseau sur Charlie Hebdo, 25 août 2021

[2] Pushker A. Kharecha* and James E. Hansen, Prevented Mortality and Greenhouse Gas Emissions from Historical and Projected Nuclear Power, © 2013 American Chemical Society.

[3] Question écrite n° 18742 de Mme Marie-Thérèse Hermange, Sénatrice, posée lors d’une session du Sénat, publiée dans le JO Sénat du 02/06/2011 – page 1427. Cette question n’a pas donné lieu à réponse.

[4] Blog de Jean-Marc Jancovici

[5] Interview de Jean-Marc Jancovici parue sur le site de Marianne le 3 mars 2020, dans le contexte de la fermeture de la centrale de Fessenheim.